L’annonce de naufragés avait fait le tour de l’île en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire. Au moins, nous avions un peu d’animations. Car non désireuse de vouloir critiquer notre train de vie, je devais avouer que nous manquions cruellement de nouvelles têtes sur l’île ; du moins, c’était vrai pour tous ceux qui ne faisaient que rarement un tour en mer. Ce qui était mon cas, à certaines époques de l’année. Alors même si la nouvelle n’était pas forcément très réjouissante, c’était plaisant de pouvoir bouger un peu. Personne ne savait d’où ces étrangers venaient, et craignaient un peu pour leur vie, leur argent, leurs proches. Même s’ils étaient « sous bonne garde », ça ne garantissait pas totalement qu’ils ne fassent pas quelque chose de mal.

Ce matin-là, je m’étais levée tôt pour récolter la nouvelle poussée dans le potager de l’auberge. Je pris donc d’abord le temps de me débarbouiller et de déjeuner, puis je passai une tenue adéquate à la récolte. Ce genre d’occupation prenait du temps si on voulait la faire correctement. Et défigurer les légumes pour qu’ils ne soient plus utilisables n’était pas mon but. C’est donc en bon milieu de matinée que j’eus enfin fini et que je pris une bonne douche avant de m’occuper de l’auberge en elle-même et de ses clients. Peu avant midi, il n’y avait pas beaucoup d’activité – les cuisiniers et serveurs étant assez débrouillards pour se passer de moi, et la plupart des clients de nuit sortis pour manger ailleurs -, et je pus donc me dégourdir les jambes à côté du port.

Surprise une fois arrivée, un bain de foule ! Pile ce qu’il me fallait pour me changer de ma solitude à l’auberge, bien qu’il y eut quand même un peu trop de monde à mon goût. Il y avait peut-être autant d’étrangers dont je parlais précédemment que d’habitants curieux de les connaître. Résultat, ça marchait et parlait dans tous les sens, et il était difficile de savoir où donner de la tête. Mais parmi tout ce beau monde, je distinguai un homme plus étrange que les autres, en capuchon noir. Un homme qui jetait des regards furtifs dans tous les sens, et qui avait l’air de savoir où il allait, bien que je ne le connaissais guère. Il se détacha de la foule et j’aperçu Amèlia, la main sur son épée, qui avait apparemment décidé de le suivre. Elle croisa mon regard et d’un commun accord silencieux, nous décidâmes de suivre l’étranger à deux, pour découvrir ce qu’il mijotait. Car en ce qui me concernait, il ne m’inspirait pas du tout confiance. Amèlia se glissa jusqu’à moi.

« Tu as vu son Visage ? L'as-tu déjà vu auparavant ? En tout cas tout cela présage rien de bon, je te le dis Harmony... »

Je hochai la tête en soupirant. Au moins, je ne m’étais pas déplacée pour rien.

« J’ai réussi à entrapercevoir son visage, mais je ne l’ai jamais vu ici… »

J’indiquai le chemin qu’il avait pris et nous nous élancions à sa suite. Il nous emmenait vers les bateaux et monta dans l’un d’eux à notre grand étonnement. J’intimai à Amèlia de nous cacher derrière des tonneaux pour voir s’il en ressortirait ; ce qu’il fit trois minutes plus tard. Nous attendîmes qu’il dépasse notre planque, et Amèlia le coinça contre les tonneaux. Je demandais en premier :

« On peut savoir qui vous êtes, et ce que vous faisiez sur ce navire ? »

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