Votre histoire

« Alors ? »
« Tu veux vraiment savoir ? »

Le regard du pirate en dit long. Nésys soupira, et se retourna. Elle attrapa le gobelet rempli d’os de grenouilles, et le vida sur la table. Après quelques instants d’observation minutieuse, sous le regard soutenu de l’homme, elle releva la tête.

« Non, tu ne mourras pas si tu t’engages. »
« Enfin une bonne nouvelle ! »
« Oui… Mais c’est uniquement ce que les os disent… »
« Comment ça ? »
« Ben c’est pas dit qu’ils aient raison, ce sont juste des os. »
« Mais c’est toi qui lis l’avenir. »
« Non, moi je ne fais que transmettre un message donné par les ancêtres, mais personnellement je me méfierais. »
« Pourquoi ? »
« Je ne fais pas confiance aux vieux os. »

Le regard étonné du pirate tira un sourire à la demoiselle. Visiblement, il ne connaissait pas la réputation de Morrigan, la sorcière vaudou. Morrigan. Le nom que tous connaissaient de la demoiselle. Si quelqu’un savait qu’elle s’appelait en réalité Nésys ? Absolument personne. Outre sa famille bien sûr, mais suite à son initiation, elle ne les avait plus revus. La jeune sorcière avait un talent assez incroyable, et tous savaient, de réputation, qu’elle était douée dans ce qu’elle faisait. Seulement, la concernant, il y avait un petit défaut. Non, en fait, un énorme défaut : elle ne croyait en rien de ce qu’elle réalisait comme sorts. La magie faisait partie du domaine de l’illusion dans l’esprit de la jeune femme. Pourquoi avait-elle donc suivi l’initiation jusqu’au bout me direz-vous ? Parce que, pour une fois dans sa petite vie, sa mère l’avait laissée tranquille, et n’avait pas critiqué son choix.

Nésys était la dernière enfant d’une famille nombreuse : en tout, quatre frères et trois sœurs, elle était ainsi la huitième. Une mère que son père qualifiait souvent de catin, ou fille de joie, et cet homme, un pirate. Pourtant, la mère en question avait toujours été présente pour ses enfants. Mais là où ses trois autres sœurs avaient sensiblement la même ambition que leur mère, c’est-à-dire donner du plaisir aux hommes, la petite dernière avait toujours eu tendance à rêver d’aventures sur les flots, comme le faisaient ses frères, mais surtout, son père. Au final, sa mère semblait l’aimer moins que ses autres filles (et elle en était, en réalité, certaine), et l’absence de son père pendant presque toute l’année n’avait jamais aidé celle qui deviendrait un jour une sorcière. Finalement, ses seuls véritables protecteurs étaient ses frères, et sa mère cherchait par tous les moyens à faire d’elle une catin. Mais ils ne la laissaient jamais faire, et la colère envers Nésys s’accroissait chaque jour.

Et puis vint un jour dans l’année des quatorze ans de la demoiselle. Elle jouait avec ses frères à l’extérieur, lorsqu’un corbeau attaqua un petit rongeur qui courait dans le jardin. Alors que ses frères semblaient s’en ficher, le regard de Nésys se posa sur les animaux, comme intriguée, sans qu’elle n’y fasse vraiment attention. Elle se retrouva ainsi à avancer vers eux, comme hypnotisée. Mais finalement, ce n’était pas le rongeur qui attirait son attention, mais bel et bien le corbeau. Elle tendit la main vers lui, et murmura quelques mots dans une langue inconnue à ses frères, faisant arrêter le corbeau d’attaquer. L’oiseau s’envola, et l’hypnose de la demoiselle la fit s’évanouir. Lorsqu’elle s’éveilla quelques heures plus tard, ce fut à cause de bruits dans la pièce à côté. Sa mère semblait se disputer avec une femme. Ce fut avec difficulté que Nésys rejoignit les deux femmes, écoutant vaguement la conversation.

« Je vous le dis, votre fille a le lien, elle ferait une excellente sorcière. »
« Il est hors de question que je vous laisse l’emmener pour lui apprendre à tuer d’autres personnes. »
« Une sorcière vaudou ne tue pas les gens, elle sert de lien entre les ancêtres, et les vivants. Elle est une messagère. »
« Vous ne l’emmènerez pas. »
« Je veux venir. »

Les deux femmes se retournèrent vers la nouvelle voix. Debout, se tenant à un meuble pour rester sur ses deux jambes, Nésys avait dit ces trois derniers mots. Puisque sa mère ne voulait pas qu’elle s’en aille, alors elle quitterait la maison, quitte à devenir une sorcière. La dame sourit. Visiblement, Nésys avait franchi la première étape : elle était capable de quitter sa demeure sans se retourner. Sa mère, ne pouvant pas aller à l’encontre des envies de sa fille, la laissa aux mains de la femme. Et c’est ainsi que l’initiation de Nésys commença. Sur le chemin qui la mena jusqu’au lieu de culte, Branwen, la dame en question, lui expliqua ce qui allait se passer pour elle. Nésys allait être initiée. Ils allaient tout d’abord tester le lien avec les ancêtres, en testant son aptitude à rester seule et s’isoler du reste du monde. A son arrivée sur le lieu de culte, une grande clairière traversée par un petit cours d’eau, Nésys dut s’agenouiller devant l’autel, et fut purifiée. Son initiation commençait. Lors de son premier cérémonial, on lui offrit un collier qui amplifiait le lien avec les ancêtres, les esprits vaudous. Et elle abandonna son prénom pour Morrigan, son nom de sorcière. Celui que tous connaitraient par la suite.

Son initiation dura six ans. Six ans durant lesquels on lui apprit à communiquer avec les esprits. Elle comprit qu’elle était une messagère, que les ancêtres étaient la magie vaudou, qu’ils donnaient les informations et la puissance, qu’elle n’était que le catalyseur. Elle apprit à lire l’avenir proche, plus lointain aussi. Elle apprit à lier les gens à la magie pour les aider. Mais sa spécialité était d’utiliser les liens pour soigner. En temps normal, le soin n’était qu’une infime partie de la magie vaudou. Mais Nésys avait un lien bien plus fort que la normale avec cette magie, et il fut donc tout naturel de lui apprendre les arcanes du soin. Le plus important restait le lien. Il fallait qu’elle se lie à la personne à soigner, tout en liant les esprits au malade. Lorsqu’elle réussit à utiliser correctement le lien, on lui apprit les différents soins possibles. Elle ne pouvait ressusciter les morts, mais elle pouvait soigner bon nombre de blessures, plutôt utile si elle finissait par vivre ses rêves d’aventures pirates.

Au bout des six ans d’initiation, Nésys put quitter le lieu de culte. Elle était une sorcière vaudou. Elle n’y croyait pas. Elle ne croyait pas en ce qu’elle faisait, mais l’idée de pouvoir aider les gens lui plaisait. Et puis, ça lui permettrait de vivre. Elle s’installa sur un recoin d’une petite île, loin des habitations. Cependant, sa réputation se fit petit à petit grandissante, notamment grâce à de petits soins qu’elle procura en ville, les jours où elle allait faire quelques courses par exemple. Elle vécut ainsi pendant deux ans, jusqu’à ce que l’histoire de l’île de la Tortue remonte à ses oreilles. Les pirates se divisaient… Mais des clans se formaient… Elle y vit sa chance de vivre ces aventures dont elle avait si souvent rêvé. Et puis une sorcière guérisseuse à bord d’un bateau, ça pouvait toujours être utile. Elle suivit le mouvement, et finit par s’installer sur une des îles où un clan avait monté un campement. Toujours loin des habitations, elle n’était pourtant pas très loin des pirates du Flambeau, et ils savaient qu’ils pouvaient compter sur elle et sa magie. Même si elle n’y croyait pas.

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